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Vito utopique!
5 juillet 2012

le business du covoiturage

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Le business du covoiturage

 
François D. m'a donné rendez vous devant l'hôtel d'une grande chaine à 12h20, juste en face de la gare du Midi de Bruxelles.
D'après son "profil", François D. est encore un "débutant", il est ouvert à la conversation, accepte les petits et moyens bagages, il ne demande que 20 euros pour relier Bruxelles à Paris par l'autoroute en 3 heures. Les quelques commentaires positifs laissés sur son "mur" par des précédents passagers lui donne une certaine crédibilité.
Le site de covoiturage prévient aussi que six autres personnes feront le voyage. Étant donné le modèle du véhicule, un monospace, nous devrions tout de même être installés confortablement.
 
Au début des années 2000, le covoiturage était encore perçu comme un moyen de transport astucieux mais marginal. La démocratisation d'internet cumulée à la hausse des prix du train et de l'essence ont grandement favorisé son expansion, reléguant l'autostop d'antan au rang de folklore estival (l'aménagement systématique de voies rapides, de toute façon, le rend très difficile, parfois impossible).
Quelques sites internet créent rapidement le lien entre des chauffeurs désireux de partager leur frais de transport et des passagers en mal de véhicule.
Même si l'argument financier est le plus couramment évoqué, les premiers adeptes du covoiturage sont aussi motivés à l'idée de rencontrer des gens, et sont souvent proches des thèses altermondialistes ou environnementalistes.

En quelques années, les sites internet se perfectionnent, offrant un éventail toujours plus large de trajets, mais aussi des renseignements sur les utilisateurs et les véhicules, jusqu'au développement des pré-paiements par carte bancaire (avec au passage un prélèvement de quelques Euros pour les frais de service). Ces innovations logistiques séduisent de plus en plus de réfractaires, qui se méfiaient encore des imprévus associés à la pratique du covoiturage par internet. Ces nouveaux fidèles, pour la plupart des jeunes étudiants ou des jeunes travailleurs, ont la particularité d'être à la fois épris de mobilité et trop précaire pour s'offrir un billet de TGV.
C'est donc naturellement que le covoiturage bascule progressivement vers un procédé mercantile.

Lorsqu'il se rend sur le lieu du rendez-vous, Le passager d'un covoiturage retrouve aisément les autres passagers de son "équipage", ceux-ci attendent avec leur bagages en scrutant les voitures au cas ou l'une d'entre elles correspondrait aux détails de l'annonce. On sociabilise rapidement, il faut dire qu'on partage la même angoisse: le chauffeur peut touours faire faux bond.

François D. n'est toujours pas arrivé, il est déjà presque 13h et il est injoignable. ça sent "le coup foireux".
Pourtant aujourd'hui personne dans notre équipage ne semble particulièrement anxieux, à la rigueur quelques uns font preuve d'un peu d' impatience.
"On devrait trouver quelqu'un d'autre, mais il va falloir marchander" déclare une jeune étudiante française résidant à Bruxelles.
De l'autre côté de la rue, l'apparente banalité des abords d'une gare ferroviaire, avec ses flux de voyageurs pressés, à pied ou en voiture. Pourtant, Il se déroule ici quelque chose qu'une personne non avertie ne remarque probablement pas. La frénésie ambiante dissimule en réalité un business d'une nature toute particulière: Un balai continu de véhicules qui déposent leurs grappes de passagers pour ensuite en reprendre d'autres. Les chauffeurs, des noirs, des maghrébins, mais aussi un jeune néerlandais au look d'animateur de club med, sont agrippés à leur téléphone portable. Quelques-uns tergiversent entre eux, certains se saluent brièvement, d'autres encore se chicanent plus ou moins. En observant plus attentivement, on perçoit même personnage central qui semble diriger les "affaires". Les chauffeurs sont un peu tendus car ils essaient de récupérer les passagers qui ont réservé sur internet tout en complétant leur véhicule à bon prix par des passagers égarés (comme nous) mais aussi par une clientèle qui connait le système et vient directement sur place pour trouver un trajet vers Paris, Lille ou encore Amsterdam.
Un homme d'une quarantaine d'année, hésitant encore entre le train et le covoiturage, m'apprend que chaque chauffeur fait en général 1 ou 2 aller-retours dans la journée, les clients les plus réguliers (c'est son cas) connaissent donc les heures d'affluence. Un chauffeur peut donc engranger entre 200 et 500 Euros de bénéfice par jour, sans payer ni charges ni impôts.
 
A l'instar de ce qui se pratique dans certains pays du Sud, un véritable business du covoiturage s'est donc développé ici au abords de la gare du Midi, mais aussi à la porte de la chapelle à Paris, et probablement partout ailleurs ou le contexte l'y favorise. Des gares routières clandestines qui colonisent les trottoirs, les parkings et les stations essence, profitant stratégiquement de la multi-modalité de certains sites qui permettent un accès facile vers le Métro, le tramway, les branchements autoroutiers, ou encore les gares ferroviaires...
Ni légal, ni illégal, ce business profite du vide juridique que ces dérives issues du covoiturage ont laissé derrière elles. Lorsque les autorités auront pris conscience de la perte financière et des risques que représentent pour elles ces nouvelles pratiques,  elles devront probablement établir une frontière entre ce qui peut être considéré comme un partage et ce qui est incontestablement une entreprise visant le profit. Il se peut aussi que le monopole de la SNCF sur les transports soit remis en question et qu'on assiste au développement de lignes régulières d'autocar à bon marché. Mais pour l’instant, les compagnies secrètes du covoiturage profitent d’un marché sans concurrence.
 
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